Quelle est cette fièvre jaune qui s’empare de la France depuis la mi-novembre? Portant ces gilets de sécurité jaunes (que tout automobiliste européen doit avoir dans sa voiture), les Gilets Jaunes, de jour et souvent de nuit, occupent les échangeurs d’autoroutes, les intersections d’autoroutes, les ronds-points et les centres commerciaux dans toute la France et sortent dans les rues Tout les samedi. Avec l’approbation générale apparente de l’opinion publique française (80% selon les sondages).
Ils appartiennent à la classe moyenne inférieure blanche, animés par une diversité de motivations, de générations et de milieux. Une implication sans précédent des retraités, un nombre important de femmes. Ce sont des infirmières, des commerçants et des artisans, des employés de petites entreprises, des agriculteurs ou des chômeurs. Ils proviennent principalement des zones suburbaines et rurales, et très souvent des petites villes.
Un sens profond de l’injustice
Comme cela s’est produit si souvent en France – et ailleurs – ce mouvement a commencé comme un mouvement anti-fiscal, contre la montée d’une taxe sur l’essence et le diesel. S’agit-il également d’un geste anti-écologique, car dirigé contre une taxe carbone? L’historien des mouvements sociaux, Gérard Noiriel, a souligné que ce type de lutte anti-fiscale atteint toujours son apogée lorsque les gens ont le sentiment d’avoir dû payer sans rien obtenir en échange. Le sentiment, largement partagé, que la taxe sert à enrichir la petite caste des ultra-riches a alimenté un profond sentiment d’injustice dans les classes inférieures.
La plupart des Gilets Jaunes se révoltent moins contre la taxe que contre sa distribution injuste. Les taxes sur le carburant ont été la dernière goutte d’eau qui a brisé le dos du chameau. Le mouvement est particulièrement fort dans les zones où le retrait des services publics est le plus évident, où les gens sont condamnés à utiliser leur voiture pour trouver, au-delà des sous-préfectures moribondes où ils vivent, à la fois des services publics et des emplois. Ils défendent ce qui unit une société: les écoles, les hôpitaux, les commissariats de police, les transports, l’éducation gratuite, etc.
La réponse initiale du président Emmanuel Macron et du gouvernement d’Edouard Philippe a été celle du mépris (envers son peuple qui ne comprend rien ») et une provocation supplémentaire. C’était une réponse qu’ils avaient déjà déployée contre les centaines de milliers de personnes (travailleurs et fonctionnaires – c’est-à-dire des catégories autres que les Gilets) qui étaient descendues dans la rue à la demande des principaux syndicats, contre les lois réformant le travail code en 2017.
Après la première grande manifestation des Gilets à Paris le 24 novembre et quelques incidents sur l’avenue des Champs-Elysées, Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur a évoqué la peste brune »en référence au caractère soi-disant fasciste du mouvement. Cela était conforme à la stratégie de Macron pour se proclamer lui-même et sa politique progressiste »contrairement aux fascistes-populistes qui, commença à expliquer le gouvernement, noyaient les gilets jaunes de l’extrême droite. Macron a dûment parlé de scènes de guerre », une prophétie auto-réalisatrice, car le samedi suivant (1er décembre) il y a eu des scènes spectaculaires de violence dans l’Arc de Triomphe et les riches quartiers qui l’entourent.
Ici, avant de poursuivre notre histoire, nous devons faire deux remarques.
D’abord sur le caractère politique »des Gilets. Historiquement, les partis d’extrême-droite ont toujours été enracinés dans les mouvements sociaux des classes sociales pauvres petites-bourgeoises blanches. Et c’est également le cas du nouveau populisme national-conservateur d’aujourd’hui. Cette fois, le Rassemblement National (RN, ancien Front National) de Marine Le Pen, ou le plus petit parti de Nicolas Dupont-Aignan Debout la France, ont immédiatement soutenu le mouvement, et les RN ou les groupes radicaux de droite allaient bientôt être repérés comme actifs dans certains rassemblements et manifestations. Nous avons également vu des gens de l’extrême droite diffuser des fausses nouvelles, des théories du complot et des thèmes racistes dans les rassemblements Yellow Vest et sur les médias sociaux.
Mais ce mouvement est horizontal, localement auto-organisé, sans qu’aucun leader ou représentant n’émerge (jusqu’à présent). Les Gilets sont anti-partis (et aussi anti-syndicaux). Dans leurs nombreux discours et revendications parfois confus, les thèmes racistes et anti-migrants sont peu visibles. Et nous verrons également que la gauche n’est pas totalement hors jeu.
Deuxième remarque. Lorsque Gilets Jaunes viennent à une manifestation, en particulier à Paris, il est frappant de voir comment ils n’ont pas les codes et les compétences traditionnelles des démonstrations. Ils ne vont pas à l’est de Paris, lieu traditionnel de toutes les manifestations populaires, mais se rassemblent sur les Champs-Elysée, car c’est le lieu le plus célèbre. La majorité des manifestants n’ont jamais assisté à aucune manifestation auparavant et viennent de provinces »(comme disent les Parisiens). Ces personnes constituent la grande majorité des personnes arrêtées et condamnées pour violences »après les manifestations des 1er et 8 décembre.
Gilets jaunes et verts ensemble?
A la pointe des Gilets Jaunes, quelles sont les positions de la gauche et des forces progressistes? Il y a eu et il y a encore beaucoup de contestations à ce sujet, même si presque tout le monde s’accorde sur l’analyse de l’origine de ce mouvement: la croissance des inégalités, la marginalisation de certaines régions et catégories sociales, l’austérité et la politique néolibérale, etc.
Les ONG et les mouvements sociaux (et en particulier les campagnes écologiques) ont perçu dès le départ l’importance du mouvement. Dans une tribune publiée le 22 novembre, les dirigeants des mouvements altermondialistes ATTAC et Fondation Copernic 2 écrivaient:
Les gilets jaunes »sont aussi le produit d’une succession d’échecs des mouvements sociaux. (…) Nous, organisateurs, militants et dirigeants des réseaux politiques, syndicaux et de gauche, faisons tous partie de ces échecs.
Ce mouvement soulève deux questions: celle de la misère sociale croissante, notamment dans les quartiers populaires des métropoles et des déserts ruraux ou ultra périphériques; celle de la montée d’une crise écologique et climatique qui menace les conditions d’existence même d’une grande partie de l’humanité à commencer par les plus pauvres.
Le 8 décembre était le 4e samedi de manifestation pour Gilets Jaunes et était également la journée internationale de protestation climatique. Y avait-il un risque de conflit entre le vert et le jaune? Des préfets trop zélés ont même arrêté les dirigeants de la marche pour le climat à Nancy et des gilets jaunes à Grenoble, car des affrontements potentiels »pouvaient troubler l’ordre public. Le nombre de manifestants jaunes et verts ce jour-là était à peu près équivalent (15/17 000 à Paris). Dans la marche climatique il y avait un nombre important de verts »avec des gilets jaunes, portant des slogans tels que: Fin du monde et fin du mois, pour nous, c’est le même combat! Ou Pas de justice climatique sans justice fiscale et sociale! Dans certaines villes, comme à Lyon, les Verts « et les Jaunes » se sont réunis et un nombre important de Gilets Jaunes ont exprimé leur inquiétude face au changement climatique.
Cela ne signifie cependant pas une unité du peuple ou une convergence de ces luttes. Nous avons vu que les Gilets Jaunes sont plutôt blancs et de classe moyenne inférieure. Ceux qui ont rejoint les marches climatiques sont principalement des jeunes citadins (comme ceux qui ont occupé des lieux lors du mouvement Nuits Debout en mars-juin 2016) ou des militants de gauche traditionnels.
Et qu’en est-il des habitants des banlieues, ces quartiers peuplés où résident surtout les jeunes d’origine arabe ou africaine? Il y a eu un débat, certains groupes ont appelé d’autres à se joindre à la manifestation ou à soutenir les gilets jaunes contre leur répression, mais comme le Collectif Rosa Park l’a souligné dans leur réponse:
Il n’y aura pas de front large contre le régime Macron ou le fascisme qui s’en vient si l’immigration et les banlieues qui composent quelques millions d’âmes sont ignorées.
Début décembre, les lycéens, et dans une moindre mesure les étudiants universitaires, ont également commencé à bouger. Les lycées des banlieues sont particulièrement mobilisés et ont été particulièrement réprimés par la police dans des endroits comme Aubervilliers ou Mantes la Jolie où le spectacle des jeunes, arrêtés et arrêtés, agenouillés au pied de la police, est devenu un symbole repris même par les gilets jaunes (mains agenouillées sur la tête pour protester devant la police). Et à la mi-décembre, le mouvement s’était étendu à de nombreux lycées dans les grandes villes ou leurs banlieues.
Lycéens et policiers à Mantes la Jolie.
Crise sociale et politique
Existe-t-il un moyen politique de sortir de cette crise sociale? L’un des problèmes est l’extrême polarisation du débat. Dans le système politique de la Ve République française, il y a une concentration du pouvoir symbolique et réel entre les mains du président de la République.
L’appel Macron démissionne! est extrêmement populaire parmi les Gilets jaunes. Pour l’éditeur français du célèbre site de gauche Mediapart, Edwy Plenel, Macron paie pour son inconscience irresponsable, ajoutée à un exercice personnel de pouvoir tissé de mépris et de mépris. 2 Esther Benbassa, membre du Sénat du Parti vert (EELV) marchant le 1er décembre aux côtés d’un groupe de jeunes de la banlieue d’activistes de gauche et de syndicalistes, pour rejoindre les Gilets Jaunes, décrite dans son blog:
Tout au long du chemin, les gilets jaunes que j’ai rencontrés m’ont parlé de la tête du roi »qu’ils voulaient. Macron. Le ton était dur, en colère, entier. Nous n’avons pas parlé du président de la République mais du roi.
Mais le roi est nu. La confiance est détruite. La possibilité d’un parti de la peur soutenant Macron (comme De Gaulle en 1968) n’existe pas… Macron conservera les instruments du pouvoir et de la majorité parlementaire mais n’est plus le prodige élu il y a dix-huit mois.
Le gouvernement a reculé sur l’augmentation des taxes sur les carburants et de certaines autres mesures, et cherche désespérément un cadre de négociation ». Il appelle à son secours ceux que Macron a précédemment traités avec dédain: syndicats, élus locaux, associations. Et le roi (Excusez-moi, président Macron) a parlé à ses sujets le 10 décembre (Pardon, les citoyens français). Il a annoncé certaines mesures en faveur des bas salaires et des retraités pauvres, mais aucun changement fondamental dans la politique sociale ou écologique. Cependant, il va être difficile pour Macron de poursuivre la démolition néolibérale du modèle social français au même rythme qu’auparavant.
Sur le plan politique, les partis d’opposition, France Insoumise (LFI) de gauche Jean Luc Melanchon et Rassemblement National d’extrême droite Marine Le Pen demandent de nouvelles élections législatives (sans vraiment croire que cela puisse arriver). Le Parti socialiste ne s’est pas encore remis de sa défaite de 2017. Le parti conservateur de centre-droit, Les Républicains, hésite, d’autant plus que s’ils étaient au pouvoir, ils adopteraient la même politique de modernisation néolibérale que Macron, tandis que leur chef, Laurent Wauquiez, reprendrait les thèmes de l’extrême droite.
La prochaine date limite pour les élections est les élections européennes du printemps prochain. Nous pouvons nous attendre à un nombre considérable d’abstentions et au succès des forces d’extrême droite europhobes et xénophobes, comme ailleurs en Europe.
Certains des gilets jaunes se rendant aux urnes seront sans doute tentés par ce vote populiste d’extrême droite. D’autres pourraient-ils soutenir une alternative progressive, sociale et environnementale? L’aspiration à trouver une telle alternative s’est également traduite par la fièvre jaune-verte de ces dernières semaines.
Au niveau des programmes des partis de gauche de gauche, la convergence sur des objectifs sociaux et écologiques (sinon écosocialistes) semble, sur le papier, possible entre La France Insoumise (LFI), les Verts (EELV), la mouvements Génération.s de l’ancien socialiste Benoit Hamon, du Parti communiste français (PCF) et même du populaire leader trotskyste Olivier Besancenot.
Mais cette unité n’aura pas lieu pour ces élections européennes, car ces différentes forces sont divisées sur l’Europe. Plus encore, parce qu’ils sont en compétition, et parce que Jean Luc Mélanchon et le LFI sont persuadés qu’ils incarnent seuls le mouvement du peuple ».
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